• Disparitions


    Henri, un homme robuste âgé de trente-cinq ans est ramonet dans une grosse ferme du sud de l'Aveyron à une quinzaine de kilomètres de la ville où réside sa famille. Ouvrier agricole, il a échappé au Service du Travail Obligatoire en Allemagne.
    Il ne rentre chez lui que le samedi. Il fait le trajet à bicyclette par tous les temps.
    L'hiver 1943-44 a été  rude et dans ces collines du rougier, dans ces vallées ouvertes à tous les vents, à la fin du mois de mars,  il est encore loin d'être terminé...
    En ces temps troublés, les communications sont difficiles.
    Son frère aîné a hérité de la ferme familiale, à sept ou huit kimomètres du lieu de travail d'Henri. Les autres enfants ont reçu un dédommagement financier, bien peu important en réalité...
    Le jeudi, Henri reçoit la visite d'un voisin de son frère qui vient lui annoncer que le jeune Georges, son neveu, âgé de trois ans et demi a disparu.
    L'homme raconte...
    Il était 9 heures du matin, le gosse jouait dans la cour de la ferme avec Titou... Tous les chiens de la maison sont dotés de  ce nom jusqu'à ce que, ayant fait leurs preuves, ils méritent une désignation plus noble, en général sans résultat probant quant à l'obéissance. Titou est un jeune chien de chasse, un bâtard sans aucune importance.
    La mère de Georges faisait un peu de ménage dans la maison et le surveillait.
    Il a suffi d'un moment d'inattention de sa part, d'un court déplacement dans le couloir, pour que, soudain, elle se rende compte que le gosse et le chien n'étaient plus là.
    La maison d'habitation dans un hameau composé de quatre fermes est située au sommet d'une colline dominant la vallée. La  regard porte loin. Les collines voisines sont recouvertes de prés tondus par les moutons et de quelques  bois sur les flancs mal exposés.
    La mère sort,  scrute les alentours. Elle ne voit personne. Elle appelle en vain, s'affole...
    Elle alerte les voisins qui vont chercher le mari.
    Les hommes partent sur les chemins dans toutes les directions.
    En ces temps troublés, les communications avec la ville sont difficiles. Le téléphone, au bureau de poste du village, fonctionne de façon très aléatoire. En début d'après-midi seulement, on parvient à prévenir la gendarmerie.
    Henri, de son côté, demande au régisseur la permission de pouvoir aller participer aux recherches. Le régisseur hésite, Henri prend son vélo et s'en va sans se préoccuper davantage des protestations de l'autre...
    A la tombée de la nuit, il faut abandonner.
    Le lendemain, les pompiers de la ville arrivent avec leur matériel, visitent les puits, vident quelques mares. On ne trouve rien. Les sourciers et radiesthésistes ne sont d'aucun secours, chacun indiquant une direction différente de  celle que propose son compère.
    Les recherches restent vaines.
    On pense aux dangers que court le petit. Les risques sont nombreux, la chasse interdite, les sangliers abondent. Des chiens errants et affamés s'attaquent à tout ce qui peut ressembler à un proie. De plus la rumeur irresponsable prétend que des groupes d'individus louches et armés parcourent la campagne, commettant d'invérifiables exactions...
    Dimanche matin, jour des Rameaux, Henri, homme très pieux se rend à l'Eglise de bonne heure et communie au cours de la première messe basse.
    En son for intérieur il a fait un voeu. Il dira plus tard avoir eu une sorte d'inspiration. Il repart seul dans une direction nouvelle sur les vagues sentiers de bois mal explorés. C'est un bon marcheur et  ce sont les chemins de son enfance.
    C'est le grand silence.
    Soudain il croit percevoir de  faibles gémissements.
    Il s'approche et découvre le chien.
    Les gens avaient cru que le chien retrouverait le chemin et reviendrait pour les diriger vers le gosse.
    Un chien, ça  a du flair.
    Oui, mais Titou s'est fait prendre dans un collet à lapins au bord d'un sentier.
    Un peu plus loin Henri trouve l'enfant blotti sous un buisson, inanimé... 
    Endormi  ?
    Apparemment...
    Henri prétendra avoir été guidé par une bizarre et pâle lueur flottant au dessus des arbustes.
    Le petit est très faible mais vivant.
    Sur plusieurs kilomètres qui n'en finissent pas, Henri l'emporte dans ses bras.
    Il prie.
    Il arrive à la ferme et c'est le bonheur retrouvé.
    Le héros modeste rend grâce à la bonté divine.
    On se moque un peu de lui.
    Le petit est conduit très rapidement à l'hôpital. Son rétablissement complet sera long, très long.
    Il s'en tirera fort bien.
    Henri n'a pas vu grandir son neveu.
    Il a  disparu à son tour avant la fin de la maudite guerre.
    Pas héroiquement, non...
    Il allait à vélo retrouver sa femme et ses enfants.
    Il a bêtement refusé de s'arrêter à un contrôle de l'armée d'occupation.
    Il fut immédiatement abattu en essayant de passer...
    Son nom, c'est celui que je porte, le nom de ma famille.
    C'est celui de beaucoup de monde dans le département.
    Il a été maintes fois gravé sur les tablettes  des monuments aux morts du canton.

     

     


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