• Une brève de nouvelle... La petite gantière

     

    La petite gantière

     

    Ils étaient amis depuis plusieurs années… Leurs deux maisons étaient situées dans la même rue mais leurs parents ne se fréquentaient guère. Jacques, le plus jeune avait seize ans à peine, Paul allait sur ses dix-neuf ans…
    Ils firent la connaissance le même jour, à l’occasion d’une fête, de deux amies d'allure  peu farouche. En réalité les mignonnes étaient sages. Leurs âges correspondaient. La plus jeune, Jocelyne avait 16 ans et Michèle 18… Les couples se formèrent,  Jocelyne  fut attirée tout de suite par le plus jeune tandis que Michèle trouva charmant le plus âgé… Les deux couples se séparèrent pour trouver un coin tranquille...
    Chacun de son côté… 
    Au début, ils se retrouvaient tous les quatre mais très vite Paul et Michèle se tinrent à l’écart. Paul, le mec de grande classe impressionna fort Jacques quand au bout d’un mois il déclara avoir fait l’amour avec Michèle...
    Jocy, gantière en atelier, (quelque chose de très banal dans cette capitale du gant) et le jeune Jacques, lycéen s’entendaient très bien.  Une charmante idylle s’ébaucha…
    Amitié, puis douce amourette qui dure près de deux mois, baisers, caresses légères, déclarations enflammées, de bien tendres moments...
    Chaque fois que Jacques rencontrait Paul, celui-ci demandait au cadet s'il avait  réussi à faire l'amour avec Jo... Jacques en eut  assez de voir l'autre ricaner et un beau jour il répondit oui...
    A partir de cet instant Jacques  ne pensa qu'à  voir son rêve se réaliser... 
    Il parvint à ses fins, sans trop de difficulté, un peu surpris même, quelques semaines plus tard.
    Il ne fut pas très attentif, il ne se posa même pas la question de savoir si la jeune fille était vierge...  Il avait entendu parler de douleur et de sang mais tout se passa très bien...
    Pour Jacques, c'était le bonheur, le grand amour. Il avait une maîtresse. Il naviguait sur un petit nuage...
    Ce fut une période heureuse. Il y avait toujours un copain pour prêter une chambre... Les parents de l'un comme de l'autre ne s'offusquaient aucunement des absences de leurs enfants...
    Ils menèrent la "grande vie", une grande vie toute relative, étant donné leur âge. Ils étaient de toutes les fêtes, les bals populaires, fréquentaient dancings et cabarets... une vie  agréable, confortable.
    Puis arriva la période des problèmes... Jacques connut des difficultés financières. Ses parents excédés par quelques mauvais résultats scolaires lui coupèrent les vivres, le  privant seulement du peu d'argent de poche qu'ils pouvaient lui donner...
    Jocy prit le relais, sorties, hôtel, boisson, pokers entre amis,  menue monnaie pour les cigarettes. Elle prit même l'habitude de lui faire de petits cadeaux... de lui donner de l'argent, de plus en plus d'argent... Jacques, de son côté se mit à traficoter par-ci par-là, avec quelques demi-sel du cru, souvent amis du frère de Jocy, cigarettes de contrebande, petit commerce de ferraille, pas toujours acquise légalement...
    Tout se faisait naturellement. Jocy ne demandait jamais rien et donnait... Ils s'aimaient...
    Puis Jacques en vint à se poser des questions... Comment, avec son petit salaire, la mignonne pouvait-elle parvenir à réaliser ce miracle ? 
    Et cette pensée ne le quitta plus désormais...
    Il calcula, réfléchit... et dut se rendre à l'évidence, Jocy devait  avoir une autre source de revenu... Ses parents tenant un petit commerce, elle  avoua puiser souvent dans la caisse... Le samedi ou le dimanche elle allait parfois servir dans un restaurant ou faire les chambres dans un hôtel... 
    Mais pour Jacques, le compte n'y était pas...

     

    ~~~~~~~~~~


    Au cours d'une nuit très agitée, entre deux crises de larmes, Jocy reconnut se livrer, par amour pour lui, occasionnellement, à la prostitution...  très secrètement car la ville n' était pas grande. 
    Elle fait quelques passes, expliqua-t-elle, avec des hommes discrets et plutôt riches... 
    Dans cette ville alors industrielle, la bonne bourgeoisie de la ganterie était très fortunée et les clients pour un telle activité clandestine ne manquaient pas. Et que les filles soient mineures ou majeures n'avait aucune importance. Ici comme ailleurs ces gens-là étairnt intouchables

    Jacques tomba des nues... Il n'esquissa même pas un geste de violence et tous les deux éclatèrent en sanglots, comme des enfants...

    Dans les jours qui suivirent, Jacques essaya plusieurs fois de lancer un ultimatum... Tu arrêtes tout ou...
    Ou quoi ? rompre ? très vite il écarta cette solution qui n'en était pas une vraiment...
    L'habitude, l'intérêt mais aussi la tendresse bien réelle qui les unissait triomphèrent dans son esprit... Et cette vie, normale pour eux, reprit ses droits.
    Des enfants trop tôt livrés à eux-mêmes dans un monde d'adultes...
    Jacques, petit à petit, de petit marlou passif, car il n'était pas question, au début au moins de forcer Jocy, à quoi que ce soit, mais poussé par des circonstances faciles, aidé par sa belle gueule et sa réputation grandissante de jeune affranchi débrouillard, Jacques, donc passa au rôle de souteneur attitré... il n'en était pas peu fier... à son âge et tout en poursuivant des études au lycée ! Cela ajoutait encore à son aura...
    Pendant les vacances de noël, Jacques réussit à "placer" la petite auprès du fils d'un patron de ses relations, pour plusieurs nuits de fête, ce qui leur rapporta une coquette somme et permit à Jocy de participer à des réveillons dans un milieu qui aurait dû lui être totalement fermé...
    Il y avait pourtant quelque danger venant de certains maquereaux de la place, bien installés qui voyaient d'un mauvais oeil une concurrence un peu gênante, craignant surtout que ce système ne se répande...
    Des menaces furent clairement exprimées. Jacques n'avait que  quelques rares fidéles autour de lui. Il téléphona à Paul qui avait réussi à convaincre Michèle de le suivre à Toulouse et le couple prospérait dans la même profession, mais Paul, ambitieux, avait déjà deux autres prostituées sur les trottoirs de la ville rose... Il dirigeait une petite bande de malfrats à la réputation bien établie. Paul s'adressa à qui il fallait, dans les termes qu'il fallait puisque les menaces cessèrent très vite... d'autant plus facilement que l'on s'aperçut bientôt que Jacques n'avait aucunement l'intention d'agrandir son "entreprise"
    Après un année de seconde mouvementée, Jacques redoubla la classe de première, passa la 1ère parie de baccalauréat assez facilement et l'année de philo fut pour lui une promenade de santé sans la moindre anicroche...
    Maquereau déjà quelque peu respecté par le mitan local et bachelier avant d'avoir vingt ans... Quel palmarès... la voie royale !



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    Jacques  choisit naturellement Toulouse pour s'inscrire à la fac de lettres, celle où pansait-il, on se fatigue le moins... Paul avait promis de l'introduire auprès des collègues toulousains et la confrèrie, plutôt flattée, accueillit fort bien "l'intello", le prof, comme on l'appela très vite, avec l'exagération habituelle dans ce milieu. Jocy n'hésita pas à quitter sa ville, sa famille et son métier pour  venir le rejoindre à Toulouse et exercer ouvertement sa profession. On lui attribua un bon territoire avec l'accord de l'ensemble des Hommes...

    Elle est belle, fraîche, avec de grands yeux clairs dans un visage d'ange.
     
    Elle eut très vite un grand succès. La gagneuse de classe ! et l'argent arriva, beaucoup d'argent...
     
    Jacques loua un bel appartement.

    Le paradis !


    ~~~~~~~~~~


     
    Jacques, vaille que vaille suit en fac la plupart des cours magistraux mais évite le plus possible les travaux en petit groupes.
    Il se met à fréquenter d'autres étudiants et petit à petit, il se sent bien dans ce nouveau milieu... 

    Après quelques succès féminins, il se demande s'il n'y aurait pas une expérience intéressante à tenter : essayer de mettre au turbin  une ou deux  de ces prétentieuses... Rien que pour voir... une étudiante sur le trottoir ! une bêcheuse transformée en radeuse ? Facile, après le contact rapproché, il y aura bien quelque julot expérimenté pour aider au dressage... rien qu'à l'idée,  il se marre... 
    Puis Jacques décide qu'il va lui falloir changer de comportement.  Progressivement il comprend qu'il s'est engagé dans un voie sans issue.  Il a eu de la chance jusqu'à maintenant, les coups tordus sont monnaie courante... 
    Ou il se lance à fond ou il abandonne...
    Il faut gamberger.
    Il laisse tomber de plus en plus souvent les bistrots des anciens copains, les boîtes de nuit où il retrouve Jocy, harassée après sa dure journée...
    Il se rend volontiers à toutes les surprises parties auxquelles il est invité, les boums comme on commence à dire...
    Dans une de ces soirées il rencontre une jeune fille de bonne famille dont il tombe vaguement amoureux... mais la fille, elle, s'accroche.

                                                          ~~~~~~~~~~


    C'est décidé, il laisse tomber le mitan.
    Oui mais Jocy ? il n'a guère plus pour elle qu'un léger sentiment de reconnaissance... Au fil des mois sa beauté s'est fânée... elle fume beaucoup, elle picole dur et Jacques est sûr qu'elle touche à la came car il l'a vue de plus en plus  souvent dans le cirage... Au point où il en est, il n'a pas la moindre envie d'y mettre bon ordre. Le successeur l'aura d'autant plus facile pour la reprise en mains. La reniflette ou la piqouse ça peut aider...
    Il rencontre Paul, lui expose la situation... l'autre n'attendait que ça. En quelques minutes, le marché est conclu... On s'entend sur le montant du "dédommagement" pour Jacques et Paul prend la suite... et Jocy dans son chantier...
    Jacques accepte  de la convaincre d'accepter le changement. Elle ne fait guère de difficulté. Le ressort a l'air cassé, tellement que Paul se demande s'il a vraiment fait une bonne affaire... Elle n'est plus que l'ombre d'elle même.
    Pendant quelque temps Jacques suit les choses de près mais il est vite découragé. Jocy n'a plus le coeur à l'ouvrage.. Il réagit à peine quand il apprend que Paul la frappe très souvent mais ce n'est plus son problème. Il laisse définitivement tomber.


    Il a bien mieux ailleurs.


    On retrouva le corps très abîmé de la mignonne dans le canal, coincé par les portes d'une écluse près des lieux où  elle avait tant peiné, pas très loin de la gare Matabiau...

     

     

     

     

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