• j'aime les poèmes des autres 7 Brasillach - Garcia Lorca

    J'ai déjà parlé de Robert Brasillach. Je publie deux de ses textes aujourd'hui, un poème (certainement du recueil Poèmes de Fresnes) et une sorte de profession de foi dans la poésie et le fascisme éternels...
    Pour moi, il n'est pas question d'apologie ni d'une homme, ni d'une idée. Il n'est  pas davantage question d'une provocation. J'ai déjà publié par ailleurs le texte d'Antonio Machado sur la mort de Federico Garcia Lorca - "El crimen fué en granada "  (voir en fin d'article)
    Je ne regrette rien.
    J'ai mes idées et j'y tiens, je ne m'en cache guère, mais je publie ce qui me plaît, ce que j'aime tant que c'est possible... ("pourvou qué ça douré", comme on fait dire à une certaine Laetitia Ramolino, mère de qui vous savez...)


    LE JUGEMENT DES JUGES

    Ceux qu'on enferme dans le froid, sous les serrures solennelles,
    Ceux qu'on a de bure vêtus, ceux qui s'accrochent aux barreaux,
    Ceux qu'on jette la chaîne aux pieds dans les cachots sans soupiraux,
    Ceux qui partent les mains liées, refusés à l'aube nouvelle,
    Ceux qui tombent dans le matin, tout disloqués à leur poteau,
    Ceux qui lancent un dernier cri au moment de quitter leur peau,
    Ils seront quelque jour pourtant la Cour de Justice éternelle.


    Car avant même de juger le criminel et l'innocent,
    Ce sont les juges tout d'abord qu'il faudra bien que l'on rassemble,
    Qui sortiront de leurs tombeaux, du fond des siècles, tous ensemble,
    Sous leurs galons de militaire ou leur robe couleur de sang,
    Les colonels de nos falots, les procureurs dont le dos tremble,
    Les évêques qui, face au ciel, ont jugé ce que bon leur semble,
    Ils seront à leur tour aussi à la barre du jugement.


    Quand la trompette sonnera, ce sera le premier travail !
    Mauvais garçons, de cent mille ans vous n'aurez eu tant de besogne !
    Pour tuer ou pour dérober vous n'aviez guère de vergogne,
    Mais vous avez bien aujourd'hui à soigner un autre bétail :
    Regardez dans le petit jour, c'est le chien du berger qui grogne.
    Il mord leurs mollets solennels, et le fouet claque à votre poigne.
    Rassemblez les juges ici dans l'enceinte du grand foirail.


    Pour les juger, je vous le dis, nous aurons sans doute les saints,
    Mais les saints ne suffisent pas pour énoncer tant de sentences.
    Ceux qu'on a jugés les premiers, autrefois, pendant l'existence,
    Comme il est dit au Livre Vrai, ne seront jugés qu'à la fin.
    Ils jugeront d'abord le juge, ils pèseront les circonstances.
    A leur tour alors d'écouter l'attaque autant que la défense.
    Les juges vont enfin passer au tribunal du grand matin.


    Les tire-laine dans la nuit, les voleurs crachant leurs poumons,
    Les putains des brouillards anglais accostant les passants dans l'ombre,
    Les déserteurs qui passaient l'eau happés dans le canot qui sombre,
    Les laveurs de chèques truqués, les nègres saouls dans leurs boxons,
    Les gamins marchands d'explosifs, les terroristes des jours sombres,
    Les tueurs des grandes cités serrés par les mouchards sans nombre,
    Avant d'être à nouveau jugés feront la grande Cassation.


    On les verra se rassembler, montant vers nous du fond des âges,
    Ceux qui, les raquettes aux pieds, parmi les neiges du Grand Nord
    Ont frappé au bord des placers leurs compagnons les chercheurs d'or,
    Ceux qui, dans la glace et le vent, au comptoir des saloons sauvages
    Ont bu dans les verres grossiers l'alcool de grain des hommes forts,
    Et qui, négligents de la loi, confondant l'oubli et la mort,
    Ont rejeté les vieux espoirs de gagner les tièdes rivages.


    Ils s'assiéront auprès de ceux qui ont tiré dans les tranchées,
    Et puis qui ont dit non, un jour, fatigués des années d'horreur,
    Des soldats tués pour l'exemple et des décimés par erreur,
    Et près des durs, des militants de toutes les causes gâchées,
    De ceux qui tombent en hiver sous les balles des fusilleurs,
    De ceux qu'enferment aux cachots les polices des Empereurs,
    Et des jeunesses de partout par leurs chefs en fuite lâchées.


    Oui, tous, les soldats, les bandits, on leur fera bonne mesure !
    Ne craignez pas, hommes de bien, ils seront jugés eux aussi.
    Mais c'est à eux, pour commencer, qu'il convient de parler ici,
    Car la parole est tout d'abord à ceux qui courent l'aventure,
    Et non à ceux qui pour juger se sont satisfaits d'être assis,
    De poser sur leur calme front leur toque noire ou leur képi,
    Et de payer d'un peu de sang leur carrière et leur nourriture.


    Les adversaires d'autrefois pour ce jour se sont accordés,
    Les justes traînés au bûcher sont auprès des mauvais enfants,
    Car les juges seront jugés par coupables et innocents.
    Au delà des verrous tirés qui d'entre eux pourra aborder ?
    Qui verra ses lacets rendus, sa cravate et ses vêtements !
    Socrate juge la cité, Jeanne signe le jugement,
    Et à la Cour siègent ce soir la Reine et Charlotte Corday.


    Ils passeront, ils répondront, aux tribunaux des derniers jours,
    Ceux-là qui avaient tant souci de garder leur hermine blanche.
    Et les cellules s'ouvriront, sans besoin de verrou ni clenche.
    A la cour du Suprême Appel, ce n'est pas les mêmes toujours,
    O frères des taules glacées, qui seront du côté du manche.
    Les pantins désarticulés attachés au poteau qui penche
    Se dresseront pour vous entendre, ô juges qui demeuriez sourds.


    Et ceux qui ont passé leurs nuits à remâcher leurs mauvais rêves,
    Les pâles joueurs de couteau, les héros morts pour leur combat,
    Les filles qui sur le trottoir glissent la drogue dans leur bas,
    Ceux-là qui pendant des années ont perdu leur sang et leur sève
    Par le juge et par le mouchard, et par Caïphe et par Judas,
    Ils verront le grand Condamné, roi des condamnés d'ici-bas,
    Ouvrir pour juges et jugés le temps de la grande relève.

    ~~~~~~~~~~~~~~


    "Le fascisme, il y a bien longtemps que nous avons pensé que c'était une poésie et la poésie même du XXe siècle (avec le communisme sans doute). Je me dis que cela ne peut pas mourir. Les petits enfants qui seront les garçons de vingt ans plus tard apprendront avec un sombre émerveillement l'existence de cette exaltation de millions d'hommes, les camps de jeunesse,la gloire du passé, les défilés, les cathédrales de lumière, les héros frappés au combat, l'amitié entre les jeunesses de toutes les nations réconciliées. José Antonio, le fascisme immense et rouge. Je ne pourrai jamais oublier le rayonnement merveilleux du fascisme universel de ma jeunesse".

    ~~~~~~~~~~~~

    Robert Brasillach, est né le 31 mars 1909 à Perpignan. Jugé pour Intelligence avec l'ennemi et fusillé le 6 février 1945 au Fort de Montrouge.  Ecrivain, journaliste critique de cinéma, poète. Collaborateur pendant l'occupation, éditorialiste et rédacteur en chef de "Je suis partout"...

    De Gaulle refusa la grâce présidentielle malgré l'appel de nombreuses personnalités ayant demandé la grâce de Brasillach... parmi les plus connues :
    Paul Valéry, François Mauriac (Académie française), Georges Duhamel (Académie française), Henry Bordeaux (Académie française), Jérôme Tharaud (Académie française), Jean Tharaud (Académie française), Louis Madelin (Académie française), Paul Claudel, Émile Henriot, Jean Paulhan, Thierry Maulnier, Jacques Rueff, Roland Dorgelès ( Académie Goncourt), Jean Anouilh, Jean-Louis Barrault (Comédie française), Jean Cocteau,  Gabriel Marcel, André Derain, Charles Dullin, Max Favalelli, André Billy (Académie Goncourt), Wladimir d'Ormesson, Marcel Achard, Albert Camus, Gustave Cohen (professeur à la Sorbonne), Arthur Honegger, Daniel-Rops, Vlaminck, Marcel Aymé, Colette... 

    Voici ce qu'écrivit   Mathieu Scrivat pour présenter l'ouvrage "Intelligence avec l'ennemi : le procès Brasillach" , d' Alice KAPLAN :
    "L'auteur montre la grande complication du procès Brasillach : Tribunal faisant justice au nom du Gouvernement Provisoire (« Peut-on réclamer le définitif [la mort] au nom du provisoire ? »), Tribunal où siègent un juge et un procureur qui siégeaient déjà sous le gouvernement de Vichy, jurés choisis parmi les résistants et non parmi le peuple (s'agit-il de justice ou de la revanche du camp des vertueux ?), procès qui oppose deux amis, le procureur Marcel Reboul et l'avocat de la défense Jacques Isorni…
    Robert Brasillach est condamné à mort et exécuté en 1945 malgré la mobilisation de nombreux écrivains (Mauriac, pourtant toujours éreinté par les critiques acerbes de Brasillach, a été un des plus fervents partisans de la grâce présidentielle, bel exemple de pardon chrétien). Brasillach méritait-il d'être condamné à mort ? Sans aucun doute (*) . Aurait-il dû être gracié par le général de Gaulle ? Sûrement, car on ne tue pas impunément un poète ni un écrivain, même lorsqu'ils pensent mal. Mais il fallait un exemple, la crédibilité du Gouvernement Provisoire était en jeu…"

    (*) en fonction de ce que dit l'auteur de la légalité et de la compostion de tribunal, on peut, pour le moins... émettre des doutes 

     ~~~~~~~~~~~~~~~~

    j'avais intitulé ce passage "les poètes qu'on assassine" (**)

    "Prairie mortelle de lunes
    et de sang sous la terre
    Prairie de vieux sang.
    Lumière d'hier et de demain.
    Ciel mortel d'herbe.
    Lumière et nuit de sable.
    J'ai rencontré la mort.
    Prairie mortelle de terre.
    Une mort petite...

      Ce n’est pas possible ! Lâches !
    Qui ordonne dans cette Espagne
    de telles vilenies ?
    Quel crime ai-je commis ?
    Pourquoi me tuez-vous ?
    Où est la raison de la justice ?


    Federico Garcia Lorca

    ~~~~~~~~~~~~

    El Crimen fué en Granada

    On le vit marchant entre des fusils  
    Par une longue rue  
    Qui donnait sur la campagne froide  
    de l'aube, encore sous les étoiles.  
    Ils tuèrent Federico  
    Alors que pointait la lumière.  
    Le peloton de bourreaux  
    N'osa pas le regarder au visage.  
    Tous fermèrent les yeux ;  
    Ils prièrent...Dieu lui-même ne te sauverait pas... 
     
    Federico tomba mort  
    du sang sur le front, du plomb dans les entrailles -  
    ... C'est à Grenade que le crime eut lieu,  
    Vous savez - pauvre Grenade ! - dans sa Grenade !  

    On les vit s'éloigner... 
    Taillez, amis, 
    Dans la pierre et le rêve, à l'Alhambra, 
    Une tombe au poète, 
    Sur une fontaine, où l'eau pleure, 
    et, éternellement dise : 
    Le crime eut lieu à Grenade ... dans sa Grenade !

     

    Antonio Machado

     

    ** d'après un vers de Jean Ferrat (et oui...)

     


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :