• Dans les yeux du père...

      

     

    yeuxpère

     

     

     

    Mon père a disparu depuis longtemps mais je suis toujours hanté par son regard.
    Dans une famille de méditerranéens en général bruns aux yeux sombres, mon père avait des cheveux d'un châtain plutôt clair. Et surtout ses yeux étaient bleus, d'un bleu pâle, presque gris...

    Quand il n'était pas satisfait de notre comportement, nous, ses enfants, il ne s'emportait pas mais son regard  glacial nous donnait envie de nous cacher sous terre...
    Tous les soirs avant de se coucher, il lisait le journal régional et quelques pages de son livre favori, la Bible qu'à force il connaissait presque par coeur...
    Ses yeux  étaient très sensibles au rayonnement du solei!. Travaillant au grand air tout au long de l'année, il portait toujours un béret descendant très bas sur le front.
    Un tâcheron dur au travail. Paysan sans terre, manoeuvre dans le bâtiment, d'une force impressionnante, il ne rechignait pas aux tâches les plus dures...
    Un colosse aux pieds d'argile.
    A l'âge de la retraite, à 65 ans, il était déjà usé, à bout de forces.
    Je dois reconnaître que pour accompagner son dur labeur il avait régulièrement profité du vin qu'il parvenait à faire produire  à  sa vigne, au flanc des coteaux caillouteux, si pénible à travailler... sans compter l'eau de vie de marc que son privilège de bouilleur de cru lui permettait de produire en quantité dépassant un peu ses besoins réels.
    Je ne l'ai jamais vu ivre...
    Il ne profita pas longtemps de sa retraite... Des douleurs  insupportables dans les jambes lui rendirent la marche difficile puis impossible et des plaies aux pieds qui ne se refermaient jamais firent qu'il passa l'essentiel de son temps à l'hôpital pour la plus grande satisfaction des médecins que son cas intéressait d'autant plus que mon père s'était mis dans la tête qu'il servait la Science...
    Mais son grand malheur fut l'affaiblissement progressif  de sa vue qui, il le savait, devait le conduire inexorablement  à la cécité.
    Quand nous allions lui rendre visite, il nous remontait le moral mais nous ne pouvions que constater combien l'éclat de ses yeux se voilait. Son regard jadis si vif devenait terne et incertain...
    Ma mère nous dévoila le secret qu'il lui avait confié : tant qu'il percevroit un peu de lumière, tant qu'il  distinguerait vaguement la silhouette du crucifix accroché au mur en face de son lit, il vivrait.
    Le jour où il se retrouva dans l'obscurité totale il tint parole, il se laissa mourir...
    Il ne songea pas un instant au suicide, il n'avait plus de force et bien trop de religion.
    Il demanda à ma mère de le débarrasser du petit poste de radio qui lui permettait de connaître les "nouvelles", et de ranger dans un tiroir de la maison familiale sa précieuse Bible
    Il s'enferma dans le silence.
    Il se nourrissait à peine ou plutôt il se laissait à peine nourrir par le personnel qui avait beaucoup d'amitié pour lui... Dans un modeste hôpital de petite ville, à cette époque, les décisions des malades étaient respectées...
    Il n'accepta qu'une rapide entrevue  avec l'aumônier.
    Il mourut paisiblement dans son sommeil...
     

     

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