• Affabulations - VII - JM et la guerre de Corée

     

    En 1950, JM a 11 ans…

     
    Quel rapport peut-il y avoir entre un gamin aveyronnais et un  événement  majeur comme cette fameuse guerre ? Aucun, apparemment, sinon dans l’imagination de gosses placés dans un contexte inhabituel évoquant l’aventure... l'aventure guerrière que la littérature et les bandes dessinées exaltent encore, cinq ans  après la fin du deuxième conflit mondial…

    Les Etats-Unis inondent alors le marché européen de méchants fascicules, de mauvais dessins exaltant l'héroïsme des GI's libérateurs surtout face aux féroces Japs... Les Américains paraissent invincibles mais leur hégémonie commence à être partout contestée...

    En cette mi-décembre, l’école des Frères de S…, au sud du département, organise un déplacement vers Rodez, un trajet de 80 kilomètres.

     Au petit matin, 90 élèves et quelques accompagnateurs sont rassemblés autour des deux cars qui les emporteront vers le chef chef-lieu. Le but du voyage est la visite d'une exposition consacrée à l’action de l’ordre religieux dans les lointaines  colonies… Il pleut, une pluie fine mais pénétrante. Il ne fait pas très chaud… Pas de menace sérieuse, semble-t-il, dans les prévisions météorologiques mais quelques élèves entendent les réflexions des adultes qui s’interrogent sur une aggravation possible au cours de la journée. Le climat de la région ruthénoise a la réputation d'être plus rude...
    L’ordre de départ est donné. La pluie tombe toujours et les véhicules avancent lentement. Aux abords du plateau du Levézou les premiers flocons de neige apparaissent. Les enfants se réjouissent fort, ce spectacle d’hiver, c'est Noël... et les vacances…
    A l’arrivée à Rodez, les choses se gâtent et tout le monde s’inquiète… Le repas à l’Institut St Joseph puis la visite de l’exposition sont vite expédiés. Les chauffeurs des cars sont impatients, il faut repartir tout de suite. Un autre itinéraire est, semble-t-il, choisi car un peu moins accidenté…
    La première partie du trajet se passe assez bien, plus de la moitié de la distance est parcourue sans trop de difficulté mais les chutes de neige deviennent de plus en plus abondantes. Le vent se lève et rassemble cette neige sur les côtés de la chaussée qui, peu à peu, en est elle-même envahie…
    On traverse un village et quelques kilomètres plus loin, les deux cars sont bloqués par une congère. C’est l’arrêt brutal. Impossible de manœuvrer. On ne peut ni avancer ni reculer. La nuit tombe. Il faut prendre une décision. Les gosses commencent à grelotter. Ils ne sont pas vêtus pour de telles circonstances, des imperméables légers, des chaussures de ville pour la plupart... JM et quelques autres sont heureux d’avoir leur lourde pèlerine de scouts ou de louvetaux, qui leur semblait bien encombrante au départ, ce matin…
    La seule solution est de retourner vers le village que l’on vient de traverser et de demander l’hospitalité à l'école tenue par des religieuses. On n'a qu'une vague idée de la distance à parcourir. Les chauffeurs ne veulent pas abandonner leurs véhicules. Ils tenteront ensuite de gagner, à pied, une petite ville, mais dans la direction opposée et plus lointaine. Ils y parviendront, épuisés, après des heures et des heures de marche. Au matin, ils pourront avertir les parents par téléphone.   
    Pour les enfants et les accompagnateurs la longue « retraite de Corée » commence. On le proclame en riant... En effet, on parle beaucoup à l’époque de la débandade des troupes américaines, dans le froid et la tempête, devant l’armée nord-coréenne et ses alliés chinois. Les jeux guerriers ont encore la cote auprès des jeunes. La victoire, la grande, c'était il n’y a pas si longtemps après tout…
    Au début tout le monde prend les choses du bon côté, on chante, on essaie de marcher au pas. Les rares lampes de poche ont vite rendu l'âme... Heureusement, l'obscurité n'est pas totale. Il reste une lueur diffuse. Le temps ne s’améliore pas… Huit kilomètres, c’est long, très long. Marcher ainsi devient un automatisme, on ne réfléchit plus. L'aventure n'en est pas une. Pas plus que la guerre, elle n'est désormais vraiment joyeuse... On peine, on souffre mais on avance. Les adultes encouragent, portent parfois, à tour de rôle, sur quelques centaines de mètres, un enfant à bout de force. Il ne faut surtout pas s'arrêter.
    Ils arrivent enfin, exténués, très tard dans la nuit. Le village est brusquement réveillé… Soupe chaude… Il faut héberger tout ce monde. On installe des lits de camp dans le réfectoire mais cela ne suffit pas, il faut avoir recours à la gentillesse des villageois. JM doit rester dans ce dortoir improvisé mais un de ses camarades, lorsqu’il apprend qu’il est désigné pour aller chez le boucher-cafetier-épicier, se met à chanter la complainte de St Nicolas… «  ils étaient trois petits enfants… » qui finissent découpés dans le saloir du méchant homme… La performance du chanteur est peu appréciée par les chers Frères qui, en guise de punition, exigent du coupable qu’il laisse sa place et  JM est désigné pour le remplacer… Trois copains se rendent donc chez le généreux commerçant.

    Quelle  bonne nuit dans cet immense lit, sous d’énormes édredons, dans l'intimité d'amis très chers ! On ne s’endort pas vite...  Les enfants, fatigués et excités, n’ont guère sommeil. On raconte d'innocentes histoires et puis tout aussi innocemment, on en vient naturellement à d'affectueux câlins... Rien de bien grave... mais "jeux de mains, jeux de vilains" diraient les parents et les maîtres... Ce soir, après la souffrance et la peine, la simple camaraderie ne suffit plus. Il faut de la tendresse... L'après-midi, cette nuit, tout est exceptionnel aujourd'hui dans la vie des gamins...  On a besoin de  chaleur, de douces caresses.

    Ce soir on se moque des leçons... La confession effacera tout mais plus tard...

    Tout à la joie de l’instant, ils ne pensent pas à l’angoisse des parents.

    Le lendemain, JM est malade, fièvre, maux de tête, vomissements… Pas très loin, le petit, de penser à la punition divine... Beaucoup de ses camarades présentent les mêmes symptômes. Tout le monde prend soin de ces pauvres enfants. Aucun danger en réalité, le rhume, le froid, la tension nerveuse… Diète, aspirine et tisanes arriveront facilement à bout de ces malaises...
    Il faudra quatre jours pour dégager les routes et pouvoir enfin repartir.
    Le retour est un triomphe ! La retraite piteuse est oubliée. On parlera longtemps dans les chaumières de l’exploit de ces héros malgré eux. Les photos maladroites des cars ensevelis dans la neige illustrent agréablement les propos.
    Epopée dérisoire, bien sûr, mais la mémoire garde ces souvenirs, les magnifie, les chérit à jamais.

     


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