• Affabulations - III - Adolescence

      III

        La traversée - Adolescence
     

    A petits pas...

     

      Pendant la première partie de sa scolarité, de l'école  primaire à la 3ème, Jean-Marc malgré sa grande curiosité ne s'intéressa pas vraiment à la politique mais il suivait l'actualité à travers les titres de journaux, de revues comme "le Rouergat", "la Croix", "le Pèlerin", les conversations familiales, les sermons de curés assez peu "progressistes" et les leçons de professeurs qui ne l'étaient guère plus... Il n'y avait pas de poste de radio à la maison. Au total, une ambiance farouchement anticommuniste et antisoviétique.
     Grâce à une excellente mémoire il accumula une importante connaissance de faits marquants.
    L'écho de certains d'entre eux, même très lointains, le touchèrent plus que d'autres...  Il y eut la disparition  de quelques célébrités :  Leclerc, Cerdan, Pétain... le départ de de Gaulle, personnage pour lequel les parents de Jean-Marc éprouvaient une grande admiration. Certains événements l'impressionnèrent énormément : explosion de la bombe atomique soviétique, révolution chinoise, guerre de Corée, guerre d'Indochine et Dien-Bien-Phu (un cousin de Jean-Marc y était)...
     Mais il y eut aussi d'autres moments forts, même si leur importance était moindre, le crime de Lurs, par exemple et d'autres "affaires" qui entrèrent dans une sorte de folklore local, sinon dans la légende : agressions perpétrées par l'insaisissable "Masque Rouge" près du Larzac, épouvantables assassinats de fermiers au "bigos", (outil agricole, sorte de grosse pioche) dans la région d'Espalion... Une délicieuse frayeur envahissait Jean-Marc à la lecture d'histoires assez horribles. Il lisait beaucoup et n'importe quoi... Il apprécia moins le récit tout en images qu'entreprit de publier un quotidien et relatant l'affreuse boucherie ruthénoise connue sous le nom d'affaire Fualdès (1817-1818) dont on entendait parfois encore la complainte dans les rues...
    Ce n'est qu'à partir de la classe de seconde et des débuts de la guerre d'Algérie que Jean-Marc s'éveilla à la politique...

     

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    Vers autre chose

      Jean-Marc entra en seconde dans un nouvel établissement, le Collège Saint-Gabriel. Le mot collège n'avait pas le sens précis qu'il a aujourd'hui. En l'occurence il s'agissait d'une vénérable institution allant de la 6ème à la terminale et possédant une section du Petit Séminaire. Peu de professeurs civils mais des prêtres d'origines diverses : membres du clergé séculier (certains desservaient d'une paroisse dans les environs) et surtout des Jésuites.
     Au contact de ces derniers, Jean-Marc se sentit un peu désorienté : habitué au rigorisme intransigeant des  Frères des Ecoles Chrétiennes (les frères  "quatre bras", leur cape ayant deux manches factices, non-prêtres et portant le rabat blanc) il eut du mal a s'adapter au "libéralisme" des représentants de la Compagnie de Jésus. 
     Mais la principale difficulté  vint des élèves du collège eux-mêmes (les séminaristes avaient une place à part dans la communauté, ils vivaient et travaillaient dans un certain  isolement). L'établissement  était  "huppé" comme on disait dans la région, recevant surtout des fils de familles sinon riches du moins très à l'aise. Jean-Marc dut compenser par le travail le handicap de son origine sociale.
     La possibilité pour l'Enseignement Libre d'accueillir des boursiers avait été accordée récemment. Malgré l'argent ainsi donné par l'Etat, il dut se contenter d'être "externe libre", afin d'éviter d'avoir à payer les frais de cantine, d'hébergement et d'études surveillées. Habitant à proximité, cette situation ne gênait pas Jean-Marc, bien au contraire car, ainsi, sa présence au collège était réduite aux heures de cours et il était dispensé (ou il se dispensait lui-même) d'un certain nombre d'offices religieux...et d'activités dites de "plein-air", plus ou moins sportives qu'il n'appréciait guère.

     

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    Des avancées...

      Les deux années scolaires que Jean-Marc passa au Collège St Gabriel furent  calmes dans l'ensemble, il en garda  un bon souvenir (même si leur fin fut plutôt rude...)
      Il rencontra des jeunes ayant une vie (et une conception de la vie) très différente de la sienne : des fils d’industriels, de gros viticulteurs, de pieds-noirs fortunés (internes pour la plupart). Mais les relations qui le marquèrent le plus furent celles qu’il entretint avec un enseignant, le Père Jean-Marie G., professeur de « Sciences Naturelles », biologie végétale, animale et de géologie. Ce Jésuite avait bien connu Teilhard de Chardin, appartenant au même ordre religieux, et son enseignement  était profondément imprégné de l’esprit d’ouverture qui caractérise cette forte personnalité… aujourd'hui très critiqué, à juste titre le plus souvent...
      Le Père Jean-Marie pratiquait une pédagogie très moderne qui n’avait rien de livresque : expériences en labo (nombreuses dissections, coupes végétales, examens au microscope…) complétées et alimentées par la recherche dans la nature. Cet homme, sévère mais compréhensif avait su s’attirer une grande sympathie et un profond respect de la part des élèves.
      Gravement blessé en 1940, amputé d’une jambe (au-dessous du genou), il portait une prothèse articulée qui ne l’empêchait pas d’aller avec sa classe « pêcher » dans les mares ou d’arpenter le Causse. Il avouait parfois, (rarement et en petit comité), peiner, avoir des difficultés au cours de ces escapades mais il ne le montrait jamais. Son rôle dans l’évolution intellectuelle de Jean-Marc fut considérable…
      Tout se passait bien dans l’établissement pour le jeune homme, et il avait de bons rapports avec la plupart de ses professeurs. Mais… il existait dans la bourgade un groupe de pression très important : celui des parents d’élèves du Collège et Jean-Marc était « hors normes » à leurs yeux… En ville, ses amis étaient des gens simples, d’origine modeste, qui fréquentaient l’école laïque… Il n’était pas très assidu à la chapelle (bien qu’il se fît un point d’honneur d’obtenir d’excellentes notes en « Instruction Religieuse », notes parfois meilleures que celles des séminaristes), il détestait le foot, s’amusait de temps à autre au rugby… Ce qui mit le feu aux poudres fut une mésaventure narrée par ailleurs  ("beaucoup de bruit pour peu de chose")
      La réputation de Jean-Marc sombra définitivement… et l’administration du collège demanda à ses parents de trouver un autre établissement pour leur fils au mois de septembre suivant.
     Ce fut le lycée, public, bien sûr, de la sous-préfecture et l’internat…

     

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     Premières brasses en eau peu profonde...
     
     Il accepta difficilement, au début,  les exigences de l'internat... Il admettait mal la privation de liberté, l'éloignement de la famille, des copains... Il n'y avait guère qu'une trentaine de kilomètres mais les déplacements n'étaient pas faciles à l'époque : quelques autobus poussifs, quelques rares trains (qui le laissaient à dix kilomètres de chez lui) et les aléas de l'auto-stop. il n'était pas question de partir si "loin" le jeudi après-midi et le week-end était court : il y avait classe le samedi après-midi et il fallait être de retour à l'internat le dimanche soir... Bon gré, mal gré, il fallut s'adapter, vivre dans une autre ville avec de nouveaux compagnons.
     Il fut bien accueilli par ses camarades de classe et par les autres internes... parce qu'il s'était fait "virer de chez les curés" il jouissait d'un certain  prestige... Les professeurs ne furent pas longtemps dupes de son air conquérant, il le jugèrent vite : le petit matamore n'était qu'un grand timide qui se trouvait, on ne sait trop pourquoi en  terminale "Sciences Expérimentales", alors qu'il ne donnait  satisfaction que dans les disciplines littéraires et en philosophie...
     Le professeur de philosophie, M. D..., était apparemment "engagé" (mais dans quelle voie, personne ne le comprit jamais tout à fait ; il était classé "plutôt à droite") et passionné. Il plut très rapidement à Jean-Marc et réciproquement, le professeur vit en lui quelqu'un d'influençable, une pâte facile à modeler et lui manifesta  une certaine amitié. L'adolescent  se mit à travailler sérieusement dans cette matière, à lire énormément et les résultats furent convenables (appréciation qu'un élève de "Science Ex" pouvait difficilement espérer dépasser en philo...) La timidité de Jean-Marc lui joua encore un mauvais tour : la plupart des autres enseignants le trouvaient arrogant et comme M. D... passait pour un farfelu, leurs bonnes relations firent que le jeune homme ne fut pas vraiment  pris au sérieux... Il eut d'autres satisfactions : la "grande ville" lui offrit des perspectives nouvelles dans d'autres domaines. Bien que faisant partie du lycée de garçons, la classe de terminale scientifique était mixte (à la différence des sections Philo et Maths Elem) et Jean-Marc s'intéressa naturellement à quelques-unes de ses collègues...
     Dans la classe il y avait des élèves fortement attirés par la politique. L'un d'eux, externe et fils d'instituteur, était communiste et déjà solidement installé dans un marxisme  militant.  Robert S..., très gentil bien que "grande gueule", était physiquement impressionnant et pratiquait le rugby. Jean-Marc, et lui, bizarrement, devinrent amis. Si leurs discussions ressemblaient parfois à de violentes disputes, la réconciliation suivait immédiatement,  Jean-Marc se contentant de prendre un malin plaisir à contredire son interlocuteur, un plaisir gratuit car il disait souvent un peu n'importe quoi. Il provoquait, jouait, ou croyait jouer, mais l'autre était solide et ses arguments faisaient mouche...
     Les influences divergentes de M. D... et de Robert, ses lectures, ses réflexions plus ou moins philosophiques, ses tentatives de compréhension des événements nationaux et internationaux de ces années-là, placèrent Jean-Marc dans un situation intellectuelle peu confortable.
     Il devint particulièrement réceptif...

     

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    Un peu plus loin...
       
     Les événements "historiques", en effet, furent assez  importants au cours de cette année scolaire 1956-57 pour amener Jean-Marc à s'intéresser de plus près à la politique et ses discussions avec Robert eurent des bases beaucoup plus concrètes...
     La classe entière bientôt entra dans le jeu et les cours de philosophie furent souvent  l'occasion de débats apparemment houleux mais habilement contôlés par M. D..., débats au cours desquels Robert fut souvent isolé (il y avait quelques pieds-noirs qui n'appréciaient guère ses prises de position "anticolonialistes") et Jean-Marc avait parfois envie de voler à son secours. Mais il n'était pas d'accord à cent pour cent avec son ami et surtout, il n'était pas assez sûr de la solidité de ses propres prises de position... Et, de toute façon, l'autre se défendait très bien... 
     Que se passait-il alors ?

     L'ordre chronologique ici importe peu car, dans le souvenir de Jean-Marc, c'est une simple accumulation de faits particulièrement marquants : révoltes de Pologne, soulèvement Hongois, premières révélations du rapport Kroutchev sur le stalinisme,  Suez... progrès de l'organisation de l'Europe, traités de Rome...
    En France, sous le gouvernement du socialiste Guy Mollet, le problème algérien devenait la préoccupation majeure : bataille d'Alger mais surtout décision d'envoyer les appelés du contingent de l'autre côté de la Méditerranée, participer à ce qui n'était déjà plus simple "pacification" mais qui prenait des allures de véritable guerre...

     

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    Toujours plus loin, le jouet des vents contraires...

    Poussé par la lecture des ouvrages plus ou moins philosophiques que lui prêtait son ami, influencé par la gentillesse des parents de Robert qui le recevaient souvent chez eux, (la naïveté de leur invité les amusa et les choqua parfois) Jean-Marc évoluait lentement vers une attitude moins agressive face aux idées "de gauche".
      Dans un domaine plus "littéraire" et sentimental il découvrit ou redécouvrit des écrivains, des artistes "engagés" : Yves Montand, Léo Ferré chantant Aragon, Mouloudji chantant Boris Vian... Il y rencontra un certain  romantisme révolutionnaire. L'invasion du rock déboussolait bien des jeunes et contribuait à donner à Jean-Marc l'envie de "s'éclater", de bouger, de faire autre chose de sa vie, de faire quelque chose, de s'affirmer, d'être quelqu'un...
      Mais plus que tout, ce fut l'annonce de l'envoi du contingent en Algérie qui l'aida à se décider...
      C'était aussi la grande époque du Poujadisme conquérant et le sud Aveyron était au centre de ce combat. Un adjoint direct de Pierre Poujade était artisan dans la ville et Jean-Marc entretenait avec lui de très bonnes relations, en particulier en ce qui concerne l'apprentissage du bridge. Le mouvement poujadiste était au premier rang de la lutte pour "l'Algérie Française". Jean-Marc croyait sincèrement à la nécessité du maintien de ces départements dans la nation... Il admirait le geste des quelques députés  (dont Jean-Marie Le Pen, plus jeune député de France) qui avaient demandé à être incorporés et avaient rejoint l'armée.
      Il était tiraillé entre deux tendances plutôt opposées, prêt à "perdre les pédales".
      "L'appel sous les drapeaux" de ses copains salariés et leur transfert rapide en Algérie le bouleversa. Il savait bien qu'il bénéficierait d'un sursis d'incorporation pour études mais la simple perspective d'être,  à plus ou moins brève échéance,  lui aussi envoyé en Afrique du Nord ne l'enchantait guère... Mais à ce motif égoïste et un peu lâche s'ajoutaient des arguments plus réfléchis. Les parents des jeunes  appelés voyant leurs fils partir au loin pour un "combat douteux" (douteux, puisqu'on leur en cachait l'intérêt vital) n'auraient plus qu'un désir : qu'on en finisse au plus vite,  n'importe comment, y compris par l'abandon. Jean-Marc était convaincu que la décision gouvernementale était la condamnation de l'Algérie Française. On avait trouvé le moyen de bloquer l'action de l'armée de métier et des Territoriaux, (action qui laissait entrevoir une victoire militaire)  et de rendre le conflit impopulaire...
      Tiraillé, indécis, et inquiet, malgré son succès au baccalauréat, Jean-Marc le resta jusqu'à la rentrée universitaire. Il crut alors avoir trouvé une solution, ce ne fut qu'un regrettable malentendu...


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